« Some thoughts have a certain sound »

Esthétiques et techniques du live coding en musique

Élaboration de la démarche de recherche et parcours transdisciplinaire

ECLLA (Études du Contemporain en Littératures, Langues et Arts)

La jeune recherche en arts à l'UJM
Raphaël Maurice Forment - 10 octobre 2025

À propos de la thèse

    Équipe de direction :
  • Laurent Pottier (directeur) : Université Jean Monnet, ECLLA
  • Alain Bonardi (co-directeur) : Université Paris 8, CICM
  • Thèse de musicologie défendue le 10 janvier 2025. Jury composé de Christine Esclapez (directrice du jury), Laurent Pottier, Alain Bonardi, Gérard Assayag (rapporteur), Florence Levé (rapporteure), Kevin Gohon (examinateur), Yann Orlarey (invité) et Vincent Rioux (examinateur).

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    Le live coding a pu être décrit en des des termes variés : écrire des programmes en temps réel, modifier un programme au cours de son exécution, projeter l'écran pour inviter le public à participer à cette activité, écrire comme une pratique d'improvisation, composer en utilisant des notations textuelles, changer les règles tout en les suivant, pratiquer la programmation conversationnelle (discuter avec l'ordinateur dans son langage natif), penser en public, créer et utiliser des systèmes faits main, adaptés à la performance à la volée ou juste à temps.

    Alan F. Blackwell et al. Live Coding: A User's Manual, p. 2.

    Le live coding : une apparente unité de geste

    « [...] il s'agit d'une approche de la création musicale qui n'est pas honteuse d'exposer la matérialité brute de sa production [...] de manière similaire au fait, dans le théâtre de Brecht, de rendre visible la machinerie de la scène de théâtre. Ce dernier crée une vertu dans le fait de montrer ce qui est normalement caché. »

    Simon Yuill, « All Problems of Notation Will Be Solved By the Masses »,
    Metamute (2008).

    Pasta Gang Algorave Grrrnd Zero Performance écran

    I. Contexte et enjeux méthodologiques

      Objet(s) traité(s) par la thèse

    • Qu'est-ce qui fait l'unité des différentes pratiques du live coding et donne sa cohérence au mouvement culturel qu'elles ont créé ? Est-il possible de raisonner sur cette diversité pour l'étudier d'un seul tenant ?

    • Quels cadres et outils théoriques/analytiques pour construire une analyse musicologique des nouveaux corpus musicaux engendrés par les live coders ? Comment approcher ce(s) type(s) nouveau(x) de performance ?

    • Le live coding est-il un objet consistant ? Si oui, comment peut-on le penser, le définir ? Est-ce que cette définition peut nourrir une démarche d'analyse ?
    • Objectifs : analyse, identification, valorisation et documentation d'un « répertoire ».

    Live coding : que désigne le terme ?

    • Un environnement et un phénomène culturel stable et cohérent :
      • Des scènes locales et réseaux internationaux de pratique construits sur le temps long :  multiplicité de positionnements artistiques, éthiques, politiques, actions militantes, etc. Une actualité toujours riche, nécessitant une veille active.
      • Une montée en reconnaissance : presse musicale et généraliste, institutions culturelles et musicales, réseaux sociaux.
    • Une multiplicité de pratiques de création musicale, d'outils, de formes musicales :
      • Un grand nombre d'outils : Strudel, Tidal, Sonic Pi, FoxDot, ORCA, ChucK, SuperCollider, Hydra, Pure Data, etc.
      • De nombreuses formes musicales :  improvisation from scratch, code-jockeying, algorithmic rave parties, composition en studio, performances collaboratives/collectives, glitch art, software art, installations interactives.
    • Une absence de définition de(s) objet(s) au cœur même de l'entreprise de recherche / création :
      • Pour les artistes : expérimentation formelle et hybridations, usage des techniques du live coding dans des contextes de travail variés, pluri-disciplinaires, multimédia, etc. Ne pas définir pour ne pas cloisonner, refus de l'immobilisme et de l'autorité.
      • Pour la recherche académique : difficultés posées par le travail historiographique et par l'analyse d'un sujet contemporain (sciences humaines), sujet d'étude et domaine d'application de recherches (sciences de l'informatique / de l'ingénieur).
    « Forcé à choisir entre plusieurs définitions opératoires [de ce que désigne le live coding], celle qui me donne le moins d’anxiété est de penser au live coding comme un « théâtre du code ».

    David Ogborn, Live Coding: A User’s Manual. en. Nov. 2022., MIT Press, p. 65.


    « Au final, l’objectif le plus intéressant que je me sois donné est celui du méta live coding, que je définis (pour le moment) comme le fait de live coder la définition même du live coding. Pendant plusieurs années, la signification de cette question a été la cause d’un conflit intérieur durable ».

    Click Nilson (Nick Collins). Collected Rewritings. Auto-publication. 2015, p.27.


    « Let code die to have less emotional attachment to code and to write more code and then it gets easier also to create more room for new different code including all kinds of fun errors. [...] to make space for others to fill the void. And let performances die by not recording them. Let music die by not recording it. Then record anyway to share with people (which kills the music) »

    Pastagang, « Let Code Die », article de blog : https://www.pastagang.cc/blog/let-code-die/ (2025)

    Quelques caractéristiques du domaine de recherche consacré au live coding

    • Fortement internationalisé, constitué en réseaux et organisé autour de centres culturels et géographiques : Sheffield, Barcelone, Karlsruhe, Mexico, Paris, New-York, Lyon (!), etc.
    • Adisciplinaire ? Transdisciplinaire ? Un goût pour assumé et parfois exploité pour la recherche des creux ou des interstices disciplinaires. Chercheurs indépendants et/ou non-affiliés, en coopération avec des institutions universitaires/culturelles.
    • Une grande faculté d'auto-organisation, d'archivage, d'auto-promotion : open source, hackers, maîtrise de l'auto-édition et de l'auto-publication. Structures collaboratives sans hiérarchie (visible).
    • Intégré et assimilé à d'autres réseaux de circulation universitaire / artistique : arts numériques, informatique musicale, design, industrie musicale et industries du spectacle, beaux-arts.

    Quels sont les objets étudiés ? Quel est leur statut ?

    Le live coding peut interroger certaines habitudes ou réflexes d'analyse et d'étude des corpus dans le domaine de la musicologie. Il questionne aussi la pertinence de toute entreprise d'archivage, de conservation et de valorisation des œuvres, des instruments, etc.

    • Code ≠ partition :  un matériau vivant, éphémère, en modification perpétuelle, destiné à être effacé, oublié, rejeté, confronté aux dangers de l'obsolescence, ouvert à la modification par autrui, au ré-emploi. Pas de logique d'archivage établie (hors versionnage).
      • Open source et logiciel libre : la libre dissémination du code est à la fois envisagée comme acte politique / militant mais aussi comme un geste de construction commune du savoir et des techniques. Le code est un commun, un espace social partagé.
      • Pas de notation(s) musicale(s) fixes et univoques. Le travail sur la syntaxe/sémantique est un domaine d'expérimentation technique, artistique, parfois poétique. Le code est indéchiffrable en dehors de son contexte de production et d'activation.
    • Code ≠ instrument :  les logiciels évoluent et se spécialisent pour accompagner des pratiques musicales toujours personnelles. Les environnements matériels / logiciels au sein desquels le code est employé sont instables. Le musicien est souvent aussi luthier.
    • Des pratiques qui échappent aux catégories employées par l'industrie et/ou par les institutions culturelles et musicales :
      • Logiques de publication, d'archivage, de valorisation, de commercialisation, de reconnaissance, etc.
      • Division du travail musical et produit du travail : compositeur / interprète / luthier mais aussi artiste / œuvre, etc.
      • Proximité(s) et parenté(s) problématiques : art numérique ? art logiciel ? art DIY ? Quelle(s) parentés et filiations ?

    Défis et enjeux méthodologiques

    • Adapter et habituer le regard critique à une nouvelle manière de musiquer.
    • Analyser de manière critique la production d'un milieu de recherche-création encore très endogène : acteurs pionniers, théoriciens issus de la première génération d'acteurs ayant promu le live coding en tant que tel.
    • Comprendre les logiques et la cohérence de ces gestes de création :
      • Esthétique / éthique : pourquoi travailler avec le code et au travers du code ?
      • Création technologique : sous-basement technologique, organologie.
      • La création : nature du travail d'un live coder, gestes, expressivité.
    « Musiquer, c'est prendre part, à quelque titre que ce soit, à un spectacle musical, que ce soit en jouant, en écoutant, en répétant ou en pratiquant, en fournissant du matériel pour le spectacle, en écoutant, en répétant ou en pratiquant, en fournissant du matériel pour l'exécution (ce qu'on appelle composer), ou en dansant. On peut même parfois étendre le terme à l'activité de la personne au guichet, à la personne qui vérifie les billets ou les hommes costauds qui déplacent le piano et la batterie ou les roadies qui installent les instruments et effectuent les balances ou les nettoyeurs qui font le ménage après le départ de tous les autres. Ils contribuent eux aussi à la nature de l'événement qu'est un spectacle musical. »

    Christopher Small, Musicking: The Meanings of Performing and Listening,
    University Press of New England (1998), p. 11.

    II. La construction progressive d'une méthodologie et d'un parcours transdisciplinaire : chronologie

    Un dilemne épistémologique

    « [...] le musicologue se trouve confronté à un dilemme : tenter d'appliquer à ce nouvel objet les méthodes éprouvées sur les partitions et les sources traditionnelles ou chercher une nouvelle approche méthodologique au risque de perdre la lisibilité de sa recherche en déportant son activité du nœud central de la musicologie – si tant est qu'il existe – vers ses frontières. »

    Pierre Couprie, « Quelques propos sur les outils et les méthodes audionumériques en musicologie. L'interdisciplinarité comme rupture épistémologique »,
    Revue musicale OICRM 6.2 (2020), p. 25-44.

    Évolution graduelle de la méthodologie : vers l'informatique et vers la recherche / création

    • 1. Analyse distanciée (2020-2022) : Étude critique des textes publiés, recensement des sources, des archives, des réseaux d'échange. Documents et traces fuyantes, au statut toujours incertain : fragments textuels, code archivé/oublié, enregistrements.
    • 2. Recherche-création et observation participante (2022-2024) : immersion au sein des scènes francophones et internationales, conception et expérimentation logicielle, création. Rencontres et cartographie des réseaux informels du live coding.
    • 3. Une démarche de synthèse : reconstruire un chemin vers la musicologie, en s'appuyant sur les matériaux d'une expérience souvent extra-disciplinaire.

    Méthodologie transdisciplinaire

      Structure finale du manuscrit :

    • Introduction et esthétique (p. 1-384)
    • Analyse / Technique (p. 389-459)
    • Recherche-création et annexes (p. 463-759)

    L'inarchivable de la création en résistance

    Cahiers de l'inarchivable, Volume 1. Dirigé par Fabrice Flahutez, Louis Hincker & Marianne Jakobi. Presses universitaires Blaise-Pascal, 2024.

    Journée d'étude le 19 septembre 2022.

    Travailler aux « frontières » de la musicologie


    • Étudier le live coding au plus près des lieux de la pratique : écoles d'art, scènes alternatives, réseaux d'échange en ligne (performances collaboratives / streaming).
    • Renoncer aux formats traditionnels de l'analyse musicologique, par bien des aspects peu adaptés tant pour l'analyse des instruments que des productions live codées.
    • Prêter attention à la circulation des savoirs et à sa structuration inédite liée à la diversité surprenante des acteurs du live coding : musiciens, ingénieurs, artistes multimédia, développeurs, etc.

    Travailler aux « frontières » de la musicologie


    1. Informatique : implémentation de langages et de plateformes pour le live coding.

    • Développer une compréhension interne du fonctionnement des outils, de la sémantique / syntaxe des langages de programmation, des enjeux techniques.
    • Participer au développement open source de logiciels : collaborations, échanges.
    • Questionner chercheurs et spécialistes en traitement du signal, en info. mus, etc.
    • Faire l'expérience du code, aussi bien en tant que musicien qu'en tant que développeur. Expérience émique de la scène live coding.

    Travailler aux « frontières » de la musicologie


    2. Design et arts numériques : création multimédia, art logiciel, demoscene, DIY.

    • Une attention et une mémoire pour les pratiques numériques expérimentales, la contre-culture informatique, les arts et cultures populaires, les arts sonores.
    • Une forte valorisation des matériaux du travail artistique et des outils permettant de les travailler. Une attention à la plasticité des matériaux, une habitude les lire et à les comprendre comme des supports polysémiques (par ex. art logiciel).
    • Ouverture et curiosité : un décloisonnement disciplinaire marqué.
    • Une implantation précoce et durable des méthodologies de la recherche-création : pratiquer pour construire le savoir, pratiquer pour enseigner / transmettre.

    Travailler aux « frontières » de la musicologie


    3. Scènes alternatives : musiques expérimentales, DIY, collectifs artistiques et cercles.

    • Lieu d'expression privilégié de la scène live coding, filiations et cousinages culturels avec d'autres scènes musicales déjà plus établies : musique(s) improvisées, do it yourself, musiques électroniques de danse (rave parties, etc).
    • Soutien traditionnel des pratiques alternatives et/ou émergentes en dehors des circuits institutionnels : réseaux de circulation artistiques, lieux de création.
    • Éthique et militantisme : autonomisation de la création artistique, auto-organisation, etc. Une filiation avec la philosophie hacker et open source qui infuse le milieu culturel propre au live coding.

    Quelques résultats de cette méthode

    Journée d'étude sur le Live Coding

    Organisée avec Agathe Herrou et Rémi Georges

    Maison des sciences de l'homme Paris Nord

    23 avril 2024

    Sardine : Un environnement de live coding généraliste

    • Description : Python's missing "algorave" module
    • Multi-plateforme : Windows, Mac, Linux.
    • Architecture modulaire : construit pour accompagner l'expérimentation et l'analyse des techniques du live coding
    • Mécanisme central : fonctions temporelles récursives, un mécanisme fondamental générique et neutre (bien qu'un peu imprécis !)
    • Mini-notations : SPL, Ziffers (Miika Alonen), TidalVortex (collectif)
    • ~ 17 collaborateurs, tous externes au monde universitaire.

    III. Quelle(s) conclusion(s) ?

    Merci de votre attention !




    Cette présentation est disponible à l'adresse suivante :

    jeune-recherche-ujm.raphaelforment.fr